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Marchés, Bourses et volatilité II

Investir, malgré le choc du présent

Dans le livre Present Shock, publié en 2013, l’essayiste américain Douglas Rushkoff décortique ce qu’il désigne comme notre nouveau rapport au temps : le « choc du présent », un état de confusion temporelle découlant du fait que tout arrive simultanément. Rien de moins !

Le choc du présent est un concept intéressant lorsqu’on l’évalue en termes d’investissement. En fait, investir n’est-il pas d’abord un geste qui consiste à immobiliser de l’argent afin de le faire fructifier dans la durée ? Or, dans un monde où notre rapport au temps change et dont le « choc du présent » est l’un des éléments déterminants, la notion même d’investissement change elle aussi.

En fait, comme n’importe quel entrepreneur vous le dira, faire croître une entreprise est une aventure qui prend du temps. Or, en cette époque où le présent nous fait subir un choc permanent, il est de plus en plus fréquent que des comportements visent à faire de l’argent non pas sur l’investissement, mais sur la transaction.

Dans les marchés, l’un des symboles les plus visibles de cette obsession du présent est la croissance fulgurante des produits dérivés. La Banque des règlements internationaux estime d’ailleurs que ce type de produit a crû de près de 1 000 % entre 1998 et 2007, ce qui a mené tout droit à la crise financière de 2008. La notion même de « produit dérivé » – acheter aujourd’hui la valeur future d’une valeur présente – est une conséquence de ce choc du présent : ainsi, en ramenant une valeur future à un prix actuel, on risque d’oublier que la création de valeur prend du temps.

Lors de la conférence Marchés, Bourses et volatilité que j’ai animée le 7 septembre dernier à l’Espace Desjardins, j’ai tenté d’illustrer cette tendance par divers exemples concrets.

À cet égard, le cas de l’action de Nintendo est assez frappant : à la suite du lancement du jeu mobile Pokémon Go, le 6 juillet 2016, l’action gagne 120 % en 10 jours. Cette progression amène la presse financière à parler du « grand rallye Nintendo » et à se questionner sur le possible « effet de halo occasionné par ce jeu » sur le reste des activités de l’entreprise japonaise. Puis, après la diffusion d’un banal communiqué qui reprenait des informations publiques au sujet de la relation entre Nintendo, The Pokemon Company (détenteur de la marque) et Niantic (l’éditeur du jeu), l’action chute de 35 %… et les médias tirent à boulets rouges sur l’entreprise !

En fait, si on met de côté cette « volatilité du jour » pour se concentrer sur le portrait plus global de la situation, les actions de Nintendo ont progressé de 20 % cette année. L’entreprise a engrangé plusieurs dizaines de millions grâce à ce jeu, et ses nouvelles consoles sont plutôt populaires auprès d’une clientèle qui lui est acquise.

Quand on ramène tout au présent, on a parfois l’impression que les marchés sont touchés par une forte volatilité. Il suffit alors de regarder la conjoncture dans son ensemble pour se rendre compte qu’être un investisseur ne se résume pas à réaliser une série de transactions.