Que peut faire la Chine face au protectionnisme américain?
La Chine subit de plein fouet l’élan de protectionnisme américain. Depuis le début de l’année, plusieurs produits chinois ont été tarifés à la frontière américaine et la liste pourrait encore s’allonger. En guise de représailles, la Chine a décrété plusieurs tarifs sur des produits importés des États-Unis. Il lui est toutefois impossible de répliquer coup pour coup dans les mêmes proportions, étant donné l’asymétrie des échanges entre les deux pays. La Chine n’est cependant pas à court de moyens pour faire face à la situation.
Dévaluer le yuan?
Dévaluer sa monnaie serait une façon, pour la Chine, de maintenir la compétitivité de ses exportations. Cette mesure comporterait toutefois des risques, surtout si la dévaluation atteignait des proportions importantes. Entre autres choses, l’ensemble des partenaires commerciaux de la Chine seraient pénalisés. À terme, plusieurs pays pourraient donc se montrer plus protectionnistes à l’égard de la Chine.
Autre conséquence possible : les investisseurs étrangers pourraient retirer massivement leurs avoirs de la Chine s’ils anticipaient une volatilité importante du taux de change. Or, ce sont souvent les investissements plus liquides, comme les investissements de portefeuille, qui peuvent rapidement être transférés d’un pays à un autre. Les résidents chinois pourraient également vouloir sortir massivement leurs avoirs du pays, mais risqueraient toutefois de se buter à des règles limitant les sorties de capitaux.
Une éventuelle fuite de capitaux menacerait la croissance économique chinoise, car il deviendrait beaucoup plus difficile de financer les investissements des entreprises et les emprunts des ménages et du gouvernement. La Chine dispose cependant d’importantes réserves en actifs étrangers qui pourraient répondre à ses besoins de capitaux. Cela dit, une diminution importante de ces réserves la rendrait plus vulnérable à d’éventuels autres chocs.
Trouver d’autres marchés
Plutôt que de dévaluer fortement sa monnaie, la Chine pourrait miser sur de nouveaux débouchés pour ses exportations, dont environ 20 % sont actuellement dirigées vers les États-Unis (graphique 1). L’objectif apparaît atteignable surtout en considérant que, malgré les tarifs douaniers, les États-Unis devraient continuer d’importer une certaine quantité de produits chinois. Par exemple, les États-Unis importent beaucoup d’équipements électroniques fabriqués en Chine, notamment des ordinateurs, des téléviseurs et des téléphones intelligents. Autrement dit, des biens de consommation qui sont peu produits en sol américain et donc plus difficilement substituables.
Les États-Unis pourraient toutefois se tourner vers d’autres pays que la Chine pour importer une partie de ces produits. Plusieurs pays d’Asie seraient d’ailleurs bien positionnés pour tirer profit de la situation. L’augmentation des investissements et des exportations dans ces pays stimulerait leur croissance économique, ce qui aurait aussi des retombées positives sur toute la région, y compris la Chine. Les exportations chinoises vers l’Asie pourraient donc augmenter. On peut aussi penser que la Chine pourrait accroître ses parts de marché dans d’autres régions du monde, comme en Afrique ou en Amérique latine.
Et pourquoi pas la consommation intérieure?
Pour compenser une éventuelle baisse des exportations vers les États-Unis, la Chine pourrait aussi miser sur une hausse de la demande intérieure, en particulier de la consommation des ménages chinois. Alors que dans plusieurs pays, le poids de la consommation dépasse souvent 50 ou 60 % du produit intérieur brut, en Chine, ce poids est tout juste inférieur à 40 % (graphique 2).
Encourager la consommation exige toutefois que l’on change le modèle de développement économique qui a cours en Chine depuis les dernières décennies et dont le succès repose sur des politiques qui favorisent l’investissement, souvent au détriment de la consommation. Pour soutenir des investissements élevés, il faut beaucoup d’argent, et cet argent peut être emprunté soit à l’étranger, soit auprès des ménages. La Chine compte sur la forte propension des ménages à épargner. Or, en augmentant la consommation, l’épargne diminuerait et les entreprises auraient plus de difficulté à se financer.
Hausser les revenus en montant en gamme
La consommation pourrait également être stimulée par le biais d’une augmentation des revenus. Certes, en Chine, les salaires progressent, mais ne semblent pas encore suffisants pour permettre aux ménages d’allouer une part plus grande de leur revenu à la consommation.
Le défi que pose la progression des salaires, c’est que celle-ci découle de la productivité au travail. La Chine s’est bien positionnée sur les marchés internationaux en produisant des biens à bas prix qui exigent une main-d’œuvre importante. Elle a enregistré des gains de productivité élevés en raison de la réallocation de la main-d’œuvre, qui est passée du secteur agricole à faible productivité au secteur manufacturier à plus forte productivité. Or, ce mécanisme ne peut cependant pas durer indéfiniment. Même sans l’adoption de tarifs douaniers par les États-Unis, la compétitivité chinoise finirait par diminuer en raison du tarissement du bassin de main-d’œuvre rural sous-utilisé.
L’introduction de tarifs commerciaux par les États-Unis est donc un incitatif à accélérer une transformation qui devra tout de même être complétée tôt ou tard. La Chine doit augmenter sa productivité autrement que par des mouvements de main-d’œuvre, et cela pourrait se réaliser en accélérant le développement d’une économie davantage orientée vers la production de biens à plus forte valeur ajoutée.
Au bout du compte, la Chine a plusieurs cartes en main
En résumé, même si la montée du protectionnisme américain constitue un enjeu important pour l’économie chinoise, nous ne devons pas nécessairement anticiper une forte diminution de sa croissance au cours des prochaines années.
La vérité, c’est que la Chine a plusieurs cartes en main pour atténuer les effets des tarifs commerciaux américains. La première consiste à laisser sa devise s’ajuster petit à petit. Ensuite, la Chine pourrait compenser d’éventuelles pertes de parts de marché aux États-Unis par des gains dans d’autres pays. La composition de ses échanges pourrait aussi être revue au fil du temps, ce qui serait compatible avec une transformation graduelle de son économie vers la fabrication de produits à plus forte valeur ajoutée. Le potentiel paraît également élevé du côté de la consommation, mais ce scénario comporte toutefois une bonne dose d’incertitude et tout ne pourra pas se faire rapidement. Cela dépendra aussi de la volonté des autorités chinoises à appliquer les réformes requises.