Apple, iPhone et le paradoxe de l’empire
On a beaucoup parlé d’Apple dans les médias récemment. En fait, on parle toujours beaucoup d’Apple dans les médias. Cette entreprise, dont la capitalisation boursière en fait « la plus grande du monde », a adopté, sous le leadership de Steve Jobs, une stratégie de marketing efficace qui consiste à « faire la nouvelle ». Et les journalistes, avides de contenus préfabriqués, jouent le jeu avec enthousiasme.
Bien entendu, du point de vue de la stricte performance financière, l’histoire d’Apple est extraordinaire : la valeur de son action a progressé de plus de 5 000 % depuis son entrée en Bourse. Et bien que de nombreux analystes aient prédit le crépuscule de la marque à la pomme au décès de Steve Jobs, en octobre 2011, force est d’admettre qu’au contraire, le nouveau président, Tim Cook, fait un travail extraordinaire.
En cinq ans, la valeur de l’action a été multipliée par trois.
Historiquement, le succès d’Apple est attribuable à une capacité d’innovation sans précédent qui allie performance et design d’une manière originale. Ainsi, au moment où ses concurrents commencent à imiter efficacement le design de ses ordinateurs, Apple annonce, le 1er janvier 2007, le lancement de l’iPhone.
Ce produit, qui évoluera ensuite d’année en année, prend une ampleur mythique. « C’est le produit de consommation qui a connu le plus grand succès de toute l’histoire de l’humanité », affirme Duncan Stewart, directeur de la recherche chez Deloitte Canada.
De 2007 à 2016, Apple a vendu un milliard d’iPhone, à raison de centaines de millions d’unités chaque année. L’iPhone représente aujourd’hui 65 % du chiffre d’affaires de cette société. Si on y ajoute l’iPad – qui possède plus ou moins les mêmes applications qu’un iPhone –, ces deux produits contribuent à 75 % de ses revenus.
Cette réussite met évidemment en perspective les tentatives de diversification d’Apple dans le domaine des montres intelligentes, du divertissement ou du logiciel. À titre d’exemple, on estime que l’Apple Watch a généré des ventes d’environ 3,5 milliards de dollars américains en un an. Bien qu’il s’agisse d’une somme colossale dans l’absolu (pour vous et moi, du moins), la contribution de ce produit aux revenus totaux d’Apple – 234 G$ US en 2015 – est, au mieux, marginale.
Pendant ce temps, de nouveaux joueurs émergent sur le marché des téléphones intelligents dominé par Apple. Fort heureusement, c’est un marché difficile à pénétrer. En témoignent l’interminable descente aux enfers de BlackBerry et les difficultés du géant Microsoft avec son Windows Phone. Même un joueur en apparence solide, Samsung, connaît des déboires. La débandade récente du Galaxy Note 7 – d’abord rappelé, puis carrément retiré du marché – risque de nuire à la réputation de la marque coréenne. Des problèmes d’explosion de la batterie ont incité les compagnies aériennes à en interdire l’usage, la recharge et même la détention à bord de leurs appareils. Des avis d’interdiction anti-Samsung sont désormais répétés au départ de chaque vol; comme on compte près de 100 000 décollages par jour dans le monde, il s’agit là d’une véritable catastrophe sur le plan marketing.
Certains anticipent qu’Apple annoncera bientôt de nouveaux produits; son incursion dans le monde des paiements préface-t-elle une avancée vers le marché bancaire? À voir les difficultés qu’ont les banques à se remettre de la crise de 2008, la complexité de l’information financière (reporting) et des exigences du régulateur, et la récente condamnation d’Apple pour évitement fiscal en Europe, cela semble peu probable. Son positionnement comme prestataire de service dans le domaine des paiements est intéressant, mais a l’avantage de limiter son exposition au sein de l’industrie des services financiers; un domaine complexe, fortement concurrentiel et excessivement régulé.
D’autres ont prédit l’acquisition de Tesla ou une diversification vers le marché de l’automobile. Dans le premier cas, la fusion récente de Tesla avec sa cousine, Solar City, rend la cible moins alléchante pour une acquisition. Sa taille, sa propre diversification, sa complexité et le rôle central joué par la personnalité d’Elon Musk dans l’évolution de cette nouvelle coentreprise rendent le projet moins probable. Quant à savoir si Apple réussira à développer une voiture à partir de zéro, rien n’est impossible.
La question qui se pose est la suivante : une entreprise qui a créé le produit de consommation ayant connu le plus grand succès de toute l’histoire de l’humanité peut-elle récidiver?
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : Apple n’a pas fini de nous surprendre.