La déductibilité des dépenses de l’investisseur – entre mythe et réalité
Comme de nombreux investisseurs, vous consultez diverses sources d’information afin d’être mieux en mesure de bâtir votre portefeuille. De plus, vous vous tournez vers des outils tels que des lettres financières, des chaînes spécialisées offertes par les câblodistributeurs, ou encore, des chaînes financières radiodiffusées par satellite. Ces initiatives entraînent certaines dépenses, mais pouvez-vous les déduire de vos revenus? En toute logique, ces déboursés devraient être déductibles, car ils vous permettront de générer des revenus de dividendes ou des gains en capital lors de la disposition des titres. Cependant, sachez que ce n’est pas nécessairement le cas.
Quelques précisions sur la nature des dépenses
Aux fins du calcul du revenu d’un contribuable, un déboursé peut être soit de nature courante, soit de nature capital.
Les dépenses de nature courantes sont déductibles du revenu de l’année pendant laquelle elles ont été engagées, pourvu que l’on puisse prouver qu’elles ont été engagées en vue de produire un revenu de bien. Notez que la famille des revenus de bien comprend les intérêts, les dividendes et les distributions de fiducie. Par contre, un gain en capital n’est pas un revenu de bien aux fins de la Loi de l’impôt.
En général, pour savoir si un élément de dépense est de nature capital, on vérifie notamment si elle a produit un bien permanent et durable, ou si elle a été une dépense faite une fois pour toutes. Dans notre régime fiscal, une dépense de nature capital n’est déductible que lorsque la Loi l’autorise. À titre d’exemple, le coût d’achat d’un immeuble locatif pourra être amorti, car la Loi le permet expressément. Lorsque la Loi de l’impôt est muette, aucune déduction ne peut être inscrite par le contribuable.
L’affaire Young
Le 13 avril 1989, Léonard Young s’est présenté devant la Cour d’appel fédérale pour une question similaire. En effet, M. Young prétendait que les sommes qu’il avait déboursées pour payer des abonnements à des lettres financières devaient être déductibles, car elles lui permettaient de générer du revenu de bien.
Selon le juge, pour que ces déboursés soient déductibles, M. Young devait démontrer que son intention était de générer du revenu de bien au moment où les déboursés ont été effectués. De plus, les dépenses ne devaient pas avoir été engagées au cours du processus d’acquisition des titres.
Dans son analyse, le tribunal convient que M. Young a assemblé un portefeuille de titres, soit d’actions ordinaires, soit d’actions privilégiées. Certains titres avaient été achetés pour le dividende versé, d’autres avaient été achetés uniquement pour leur potentiel de croissance.
Malheureusement, le tribunal conclut que les déboursés pour les abonnements aux lettres financières n’étaient pas déductibles, car il s’agissait de dépenses de nature capital. Selon le motif du jugement, les lettres financières permettaient à M. Young de prendre des décisions d’acquisition et de disposition de titres. Ainsi, on comprendra que de tels déboursés sont de nature capital, car elles rapportent des bénéfices durables. Résultat : la Loi ne prévoyant rien pour les lettres financières, aucune déduction n’a été accordée.
Interprétations subséquentes
Suite à l’affaire Young, les contribuables ont demandé aux autorités fiscales de se prononcer sur d’autres dépenses engagées par les investisseurs. Voici quelques exemples.
Matériel informatique
Le 3 février 2000, l’Agence du revenu du Canada a signalé que les frais d’utilisation d’un ordinateur, de logiciels, d’une imprimante et d’un photocopieur pouvaient être déduits, mais uniquement si le contribuable pouvait clairement démontrer qu’il existe un lien entre le coût de l’achat et l’utilisation de l’équipement, et le processus de génération du revenu de bien. De plus, seule la proportion permettant de générer du revenu de bien serait déductible, la portion afférente au gain en capital devant être exclue – s’agissant d’une dépense de nature capital –, car la Loi de l’impôt ne prévoit rien dans ce cas précis.
Cette interprétation semble être en contradiction avec l’affaire Young, mais l’ouverture de l’Agence du revenu du Canada à l’égard de cette question est la bienvenue. Toutefois, faire la démonstration du pourcentage d’utilisation de tels équipements serait problématique pour les contribuables, notamment lorsque la composition du portefeuille est modifiée d’une année à l’autre (revenu versus capital).
Frais de déplacement
Le 6 avril 2006, des frais de déplacement pour se rendre à des assemblées annuelles ont été refusés, car selon l'interprétation des autorités fiscales, il s’agit de frais personnels
Internet
Le 28 juin 2011, l’Agence du revenu du Canada a souligné la non-déductibilité des frais de souscription à des services Internet ainsi que des frais de location d’un modem donnant accès à des données financières sur l’évolution des marchés et facilitant la gestion des affaires du contribuable. Le fait est que de telles dépenses sont de nature capital, car ils servent dans le processus d’acquisition et de vente des titres, tel que décidé dans l’affaire Young.
Ajout au coût des titres acquis
Par ailleurs, il convient de noter que les dépenses ci-dessus ne peuvent être ajoutées au coût des titres acquis, car la Loi ne prévoit rien à l’égard des différents déboursés discutés ci-dessus.
Le cas des spéculateurs
Les précédents commentaires ne s’appliquent pas aux spéculateurs dont les profits sont imposables au titre de revenu d'entreprise. De tels contribuables peuvent déduire l'ensemble des dépenses engagées pour générer un revenu.
À titre de rappel, les profits récoltés par un spéculateur sont imposés au titre d’un revenu d’entreprise et sont pleinement imposables. Quant à l’investisseur type, il générera habituellement un gain en capital dont seuls 50 % des profits seront imposables. Pour plus de détails, veuillez consulter le Bulletin D d’avril 2014 au disnat.com/bulletin.
Honoraires versés à un conseiller en placement
L’alinéa 20(1)bb) de la Loi de l’impôt permet de déduire, parmi toutes les dépenses de nature capital, les honoraires versés à un conseiller en placement pour des avis portant sur la vente et l’achat de titres lorsque ceux-ci sont reçus d’une personne dont l’entreprise principale est de rendre de tels services. Il s’agit malheureusement de l’unique déboursé pouvant être déduit des revenus d’un investisseur.
Bref, la Loi de l’impôt permet de déduire les déboursés pour les avis reçus, mais ne permet pas de déduire les dépenses engagées par un investisseur qui désire s'informer.
Ainsi, les frais engagés par un investisseur pour des lettres financières ou pour bénéficier d’un accès à des chaînes spécialisées offertes par les câblodistributeurs, ou encore, des chaînes financières radiodiffusées par satellite, demeurent non déductibles, tout comme le sont les frais d’utilisation d’Internet et d’un modem, et les frais de déplacement à une assemblée annuelle.
Il y aurait tout lieu que les autorités se penchent sur cette question pour enfin reconnaître la gestion active d’un portefeuille. En effet, dans l’affaire Young, le jugement a été rendu alors qu’Internet et les plateformes utilisées aujourd’hui n’existaient pas. Pour l’heure, les contribuables doivent malheureusement se conformer à la jurisprudence et aux directives citées précédemment.
La base et les différents paliers d'imposition pouvant varier, toute référence du présent article qui fait mention de l'incidence fiscale ne doit pas être interprétée comme étant un avis fiscal; comme pour toute transaction ayant des incidences fiscales éventuelles, le client est invité à consulter son conseiller fiscal.